La CARELIE
1.
Aussi loin que remontent les sources historiques, le pourtour du golfe
de Finlande a été peuplé d'ethnies étroitement apparentées entre elles.
Du finnois (suomi) que l'on parle au nord, au live que l'on parlait au
nord du golfe de Riga en passant par l'estonien et l'ingrien ainsi
qu'une dizaine de dialectes linguistiquement très proches à l'est du
golfe de Finlande, toute la carte linguistique montrait, jusqu'au
XVIIIème siècle, la profonde unité ethno-linguistique de la région.
Les
langues finno-ougriennes, si elles sont apparentées de loin au hongrois
et à divers idiomes parlés dans le nord de la Russie, ne semblent pas
appartenir au groupe des langues indo-européennes qui dominent en
Europe. S'il devait y avoir eu un ancêtre commun, la séparation serait
en tout cas très antérieure à la période où émergent le hittite et les
langues anatoliennes ainsi que l'indo-iranien.
Aujourd'hui,
deux langues de culture et de civilisation se sont constituées dans
cette aire linguistique, le finnois, qui est la principale langue
officielle de la Finlande et l'estonien, langue officielle de l'Estonie.
On
relève en finnois des emprunts au germanique qui ont eu lieu à date
préhistorique. Ces mots sont de véritables fossiles qui nous sont livrés
dans un état antérieur à tous les documents écrits les plus anciens
dans les langues qui sont issues du germanique.
Il
est, pour des raisons géographiques évidentes, très probable que les
anciens Finnois avaient été en contact avec des tribus germaniques
nordiques, probablement celles qui ont fait souche en Suède. Or, les
documents les plus anciens que l'on possède en norrois, notamment les
runes, montrent que les terminaisons indo-européennes de nominatifs
singuliers en -S étaient passées à -R. Ainsi, le mot finnois "kuningas", le roi se présente sous une forme beaucoup plus archaïque que son équivalent islandais "konungur". Il en va de même du mot qui signifie mouton en finnois, "lammas" qui conserve une terminaison dont même l'islandais, "lamb", n'a plus de trace. Dans ce cas, le mot germanique originel a probablement été "lambas" mais des lois phonétiques propres au finnois ont conduit à l'assimilation du "B" au "M".
Le "K" indo-européen initial a été remplacé par un "H" a date préhistorique. C'est ainsi qu'au "cornu" du latin correspond le "horn" qu'on connaît aujourd'hui dans presque toutes les langues germaniques. Dès lors, le mot finnois "kaura",
l'avoine, a toutes les chances d'avoir été emprunté au germanique avant
sa première grande mutation consonantique comme le montrent l'islandais
(pluriel) "havrar" ou le suédois "havre". Il en va de même, à titre d'exemple, de la poule "kana", à rapprocher de l'islandais "hæna" ou du suédois "höna" mais aussi des verbes latin "canere" et breton "kanañ" à partir desquels l'on comprend que ces animaux étaient appelés les chanteurs.
2.
Si des géographes de l'antiquité savaient qu'un peuple, qu'ils
nommaient "Aesti" et que l'on est tenté de rapprocher des Estes, vivait
aux parages du golfe de Finlande, les Finnois n'entrent progressivement
dans l'histoire que beaucoup plus tard. Les premiers contacts suivis
avec l'occident semblent remonter à l'époque où les Varègues, les
wikings suédois, commencent à naviguer le long des grands fleuves de
l'actuelle Russie pour y faire des échanges commerciaux.
Mais,
à partir du XIIIème siècle, c'est à une véritable colonisation que la
région est exposée. Une date marquante est 1218, lorsque le roi Valdemar
II de Danemark prend possession de l'Estonie. Au même moment, le roi
suédois Jarl Birger soumet le sud-ouest de l'actuelle Finlande à son
pouvoir et constitue "sa" Finlande en duché en 1284 .
Plus
à l'est, la ville russe de Novgorod étend sa sphère "commerciale"
jusqu'aux Caréliens du lac Onega qui resteront désormais toujours dans
l'orbite religieuse et culturelle de la Russie.
Cependant,
les ambitions scandinaves seront contrariées sur la rive sud du golfe
de Finlande par l'avènement de l'ordre teutonique qui, à partir de la
paix de Stralsund (1370), se rend progressivement maître de toute la
rive orientale de la mer baltique, notamment la Livonie, puis l'Estonie
(1410). Cette dernière est cependant reprise par la Suède en 1582 qui,
entre-temps a pris possession de l'essentiel de la Finlande actuelle. En
1617, par la paix de Stolbova, la Suède soustrait l'Ingrie et la
Carélie du lac Ladoga à l'influence russe qui s'y était infiltrée depuis
Novgorod. Au traité d'Altmark (1629), c'est la Livonie qui devient
suédoise, au point que le nord de la mer baltique est pratiquement
devenu un lac suédois.
Mais
tous ces gains vont être perdus au début du XVIIIème siècle au cours de
la confrontation entre Charles XII de Suède et Pierre de Russie lequel
s'empare de la Livonie, de l'Estonie et de l'Ingrie à la faveur de sa
victoire de Narva. Ceci marque un grand tournant dans l'histoire de la
région car, en construisant Saint-Petersbourg, Pierre le grand ne vas
pas simplement dominer l'Ingrie comme l'avait fait ses prédecesseurs, il
va profondément la russifier, au point que, aujourd'hui, il n'y a plus
de continuité terrestre entre l'estonien et le finnois.
Au
traité de Nystad (1721), une Suède vaincue et ruinée doit renoncer à la
Livonie, à l'Estonie, à l'Ingrie et à la Carélie du lac Ladoga. Pendant
un siècle, la frontière russe suivra à peu près le tracé qu'elle a
actuellement avec la Finlande.
Mais
les bouleversements qu’entraînera l'aventurisme de Napoléon au siècle
suivant donneront à nouveau des occasions favorables à la Russie qui
s'empare de la Carélie du nord au traité de Malmö (1803), puis de tout
le reste de la Finlande à la paix de Frederikshamn (1809).
Toutefois,
la Finlande sera constituée en Grand-duché en union personnelle avec la
couronne de Russie. Elle conservera les institutions et le droit
suédois et la Carélie du lac Ladoga lui sera rendue. Cette situation est
remise en cause à la fin de la première guerre mondiale, alors que,
partout en Europe, les nationalités s'affirment au travers de cadres
étatiques propres.
L'indépendance
de la Finlande proclamée en 1917 n'est cependant juridiquement actée
vis-à-vis du puissant voisin, qu'avec le traité de Tartu du 14 octobre
1920. Il s'agit d'un acte de droit international essentiel, l'un des
éléments qui fonde l'ordre nouveau en Europe du nord après la
disparition de l'Empire russe des Romanov.
3. L'article 2 du traité définit ainsi la frontière entre la Finlande et la Russie:
"1. A travers le centre de la baie de Vaida jusqu'au promontoire oriental à son extrémité
(à environ
69°57'.0 de latitude et 31°58'.5 de longitude) ; de là, il suit le
méridien vers le sud jusqu'au point où il coupe le réseau des lacs du
nord (à environ 69°55'.0 de latitude) ; de là en direction du sud-est
jusqu'au méridien de longitude (à environ 69°51'.0 de latitude), en
suivant autant que possible la chaîne des lacs de Tschervjanyja ; de là,
jusqu'à un point situé à 69°46'.0 de latitude et
32°06'.5 de longitude ; de là, à travers le centre de l'isthme entre les
deux baies des fjords de Pummanki (Bolschaja Volokovaja-Guba) et Oserko
qui s'étendent le plus loin à l'intérieur de l'isthme susmentionné,
jusqu'au point qui est au centre de l'isthme entre la péninsule de
Srednig et le continent (à 69°39'.1 de latitude et 31°47'.6 de
longitude); de là, en ligne droite jusqu'à la borne frontière n. 90
de Korvatunturi, située sur le lac de Jaurijärvi sur l'ancienne
frontière entre la Russie et la Finlande.
2.
De la borne frontière n. 90 de Korvatunturi, située sur le lac
de Jaurijärvi, jusqu'au lac Ladoga ; de là, à travers ce lac et le long
de l'isthme de Carélie, en suivant le tracé de l'ancienne frontière
entre la Russie et la Finlande jusqu'au point où cette frontière atteint
le golfe de Finlande.
Note 1: Les îles de Heinä (Ainovskie ostrova) et les îles de Kii sont cédées à la Finlande.
Note
2: La frontière déterminée dans l'article ci-dessus est indiquée par
une ligne rouge sur les cartes annexées au présent traité, c'est à dire
la carte maritime russe n. 1279 et une carte terrestre. Les frontières
mentionnées au paragraphe 1 de l'article ci-dessus seront fixées dans
les localités elles-mêmes en conformité avec les cartes, les conditions
naturelles devant être prises en considération lorsqu'elles sont
essentielles. En cas de divergence entre les cartes et le texte en ce
qui concerne les péninsules des Pêcheurs et de Sreding, la carte
maritime n. 1279 fera foi mais le texte fera seul foi concernant toutes
les autres sections de la frontière.
Note 3: Toutes les longitudes sont calculées selon Greenwich".
L'article
3 détermine les eaux territoriales. L'article 4 définit le territoire
de Petsamo qui donne un accès à la Finlande à l'océan arctique. Jusqu'en
1940, la Norvège n'aura donc plus de frontière terrestre commune avec
la Russie. L'article dit notamment que, dès que le traité sera entré en
vigueur, le territoire de Petsamo sera, avec ses eaux territoriales,
cédé à perpétuité par la Russie à la Finlande et placée sans restriction
sous la souveraineté de cette dernière. La Russie abandonne, en faveur
de la Finlande, tout droit et prétention sur le territoire
susmentionné".
L'article
6 comportait des dispositions limitant l'armement naval finlandais sur
sa côte arctique. L'article 7 permettait aux pêcheurs des deux pays de
pêcher de part et d'autre de la frontière maritime au large de la
péninsule des Pêcheurs. L'article 8 garantissait un libre transit vers
la Norvège à la Russie.
Les
articles 10 et 11 méritent que l'on s'y arrête davantage car ils
donnaient une protection de droit international à des populations
finnophones dans des communes frontalières restées russes: "Article 10. La Finlande, dans un délai
de quarante-cinq jours, retirera ses troupes des Communes de Repola et
de Porajärvi. Ces communes seront réintégrées dans l'Etat de Russie et
seront rattachées au territoire autonome de Carélie orientale, qui
inclura la population carélienne des Gouvernements d'Arkangelsk et
d'Olonets, et jouiront du droit national à l'autodétermination".
L'article 11 contenait des dispositions plus précises s'appliquant aux
habitants de ces deux communes, notamment leur droit de les quitter pour
s'établir en Finlande pendant une durée d'un mois à compter de l'entrée
en vigueur du traité.
Drapeau de l'Ingrie |
Les
articles 13 et 14 prévoyaient la démilitarisation d'îles finlandaises
du golfe de Finlande: Sommarö (Someri), Nervö (Narvi), Seitskär
(Seiskari), Peninsaari, Lavansaari, Stora Tyterskär (Suuri
Tytärsaari), Lilla Tyterskär (pieni Tytärsaari) et Rödskär,
ultérieurement aussi de Högland.
Les
autres articles rentraient dans tous les aspects des relations
russo-finlandaises, relations ferroviaires et postales, navigation
fluviale, relations diplomatiques et constituait le fondement juste
d'une paix durable.
La Finlande avant la seconde guerre mondiale |
4.
Tout au long des années 20, la Finlande put vivre paisiblement dans des
frontières sûres. La Carélie était un havre de paix aux abords d'un
voisin malade en proie à une dictature implacable et sanguinaire.
La voie ferrée dans la Carélie frontalière de la Russie |
Vers
la fin des années trente, il devenait évident que l'URSS ne
respecterait pas ses obligations internationales, ce qui se manifesta
notamment au travers de la terreur qu'elle fit régner en Ingrie du nord avec des
emprisonnements et déportations pour raisons politiques qui ne se
distinguent en rien de la brutalité nazie, mieux connue en Europe de
l'ouest.
Puis,
en 1939, les clauses territoriales du traité de Tartu, dont le texte
faisait foi en russe, en finnois, en suédois et en français, allaient
être gravement mises en cause par Staline dans la foulée de son alliance
avec Hitler. La dictature rouge présenta au gouvernement finlandais des
exigences de recul de la frontière aussi injustifiées qu'inacceptables.
Forts de leur bon droit, les Finlandais résistèrent vaillamment au
cours d'une guerre où les forces étaient pourtant bien inégales. Mais,
malgré une héroïque résistance, leurs lignes finirent par être percées
et le parjure russe put s'enfoncer en Carélie.
Lorsque
Hitler se retourna contre son allié communiste, la Finlande s’efforça
de reprendre ce dont elle avait été injustement spoliée. Pendant trois
ans, les Caréliens très attachés à leur terre ancestrale, purent donc
reprendre possession de leur grand port de Viipuri ainsi que de leurs
paisibles fermes. Ils ne cherchèrent jamais à s'emparer de territoires
ethniquement russes.
Malheureusement,
avec la débâcle nazie, Staline eut le culot de faire passer la Finlande
pour une alliée de Hitler auprès d'alliés occidentaux qui avaient la
mémoire bien courte de leur lourde conscience.
C'est
donc en 1947 que fut signé à Paris un traité extrêmement dur pour la
Finlande. Il l'amputait d'un territoire plus grand que la Belgique,
notamment de toute la Carélie du lac Ladoga, y compris Viipuri et son
fjord. Bien sûr, l'URSS reprenait Petsamo qu'elle avait pourtant cédé à
perpétuité 27 ans auparavant. Elle s'arrogeait même une base militaire
sur la côte sud-ouest de la Finlande obligée en outre de payer des
indemnités mirobolantes à son brutal voisin.
Les
Caréliens n'avaient guère d'illusions sur le paradis communiste et ils
quittèrent tous, à nouveau, leur chère terre ancestrale. La Finlande
parvint, dans ces conditions indiciblement difficiles, un véritable choc
national, à insérer ces 400.000 compatriotes, soit un dixième de sa
population déplacée.
Tracé de la frontière du traité de Tartu |
L'ancienne frontière sur le golfe de Finlande |
5.
Face à une si grande injustice, comment réagit la conscience du monde ?
Par un silence indifférent qui ne s'est jamais interrompu
jusqu'aujourd'hui. On peut bien se demander pourquoi. Serait-ce parce
que la Finlande a, dans des conditions extrêmement dures, réintégré les
Caréliens plutôt que de les parquer dans des camps ? Est-ce parce que
les Caréliens n'ont jamais détourné d'avions ni fait exploser de bombes
dans des lieux publics ?
La
conscience du monde a donc bien peu de crédibilité lorsqu'elle
s'échauffe tellement pour les Arabes musulmans de Terre sainte. Ceux que
l'on appelle bien improprement "Palestiniens" ont été déplacés à peu
près au moment où les Caréliens ont été spoliés de leur terre
ancestrale, une terre qui n'avait jamais, jamais, jamais été peuplée de
Russes.
Mais, contrairement à la Finlande, les pays arabes n'ont pas intégré ceux
dont ils se prétendent bien bruyamment les frères, à présent, prenant
bien soin de les laisser à l'écart, dans des camps.
A
la différence des Caréliens, les Arabes musulmans de Terre sainte ont
embrassé les formes les plus violentes et morbides du terrorisme, et,
depuis les attentats de Munich en 1972, ils se sont forgé un label de
sang qui aurait dû en faire les parias du monde civilisé, si celui-ci
avait vraiment un brin de conscience.
Mais non, solidarité bruyante et agissante avec les bouchers et amnésie totale pour les gentils Caréliens.
Deux poids, deux mesures, la définition même de l'iniquité.
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